Libre Pensée du Pas-de-Calais

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Publié : 30 août 2005

Les libres-penseurs en 1905

Par Jean-Marc Schiappa Président de l’Institut de Recherches et d’Etudes de la Libre Pensée (IRELP)

La Libre pensée a joué un rôle considérable dans l’élaboration et l’adoption de la loi de séparation de 1905. Ses actions allèrent des banquets populaires jusqu’aux interventions parlementaires en passant par l’édition de cartes postales et de nombreux journaux.

Une carte postale de la Libre Pensée en 1905

« Le rôle du groupe de pression libre penseur dans la marche à la séparation est incontestable » écrit l’historien Jean-Marie Mayeur. [1] Dans les limites d’un bref article, arrêtons-nous à quelques éléments. [2]

Ainsi, la grande journée du 17 mai 1903 qui vit des centaines de réunions publiques dans toute la France (J.Lalouette [3] décompte “soixante dix sept conférenciers et conférencières”) et qui a marqué un moment charnière dans la discussion sur la loi fut organisée à l’appel de l’Association nationale des libres penseurs de France. Plus de 400 réunions publiques ont été recensées. La force des libres-penseurs a été d’unifier autour de cette revendication non seulement le mouvement ouvrier mais le mouvement républicain. Cela, est dû, aussi, à la nature de la libre pensée qui « n’est pas une doctrine ; elle est une méthode » comme le dit la Déclaration de principes adoptée au Congrès de Rome. [4]

Dans cette association se retrouvent des francs-maçons, des anarchistes, des socialistes, des radicaux. Un délégué explique « exiger que les radicaux et les républicains se rencontrent dans une affirmation socialiste serait apporter l’hypocrisie et la perfidie ». [5] C’est pourquoi « la Libre pensée est laïque, démocratique et sociale, c’est à dire qu’elle rejette au nom de la dignité de la personne humaine ce triple joug : le pouvoir abusif d’une autorité en matière religieuse, du privilège en matière politique et du capital en matière économique ». [6] Telles avaient été les discussions au congrès de Rome qui avait décidé que le prochain Congrès international se tiendrait à Paris, parce que « l’œuvre la plus urgente à accomplir est la séparation de l’Etat et de l’Eglise, que le pays où cette séparation est la plus imminente ; que le devoir des Libres-Penseurs du monde est d’aider la France dans cette œuvre de salut public et d’émancipation mondiale ».

Le congrès international de 1905

Du 3 au 7 septembre 1905 se tient le Congrès international de la Libre pensée au Palais du Trocadéro à Paris. Le Congrès qui accueille des personnalités aussi diverses que Paul Brousse, Jean Allemane, Ferdinand Buisson, Marcel Sembat ou Gustave Hervé, est un lieu de débats souvent animés entre radicaux, socialistes et anarchistes. Une commission du Congrès est consacrée à la Séparation des Eglises et de l’Etat. Elle est présidée par Charles Beauquier député radical du Doubs et compte notamment l’historien Alphonse Aulard.

Le 22 avril 1905 le projet Briand a été voté par la chambre des députés. Pourtant, certains des libres-penseurs estimaient que la loi n’allait pas assez loin (c’était notamment l’opinion de députés comme Allard qui proposaient d’utiliser l’Etat pour combattre l’Eglise ; malgré ses réticences, Allard et ses amis votèrent la loi.) Malgré quelques réserves, la Libre pensée se rallie à la loi Briand et demande au Sénat de la voter avant le 31 décembre 1905 qui marque la fin de la législature.

Le congrès de Paris cherche, également, à promouvoir l’action de la Libre pensée. Cela passe par le rapprochement des différents groupes se réclamant de la Libre pensée en France. La motion Kosciusko dont l’objectif est l’unité d’organisation est adoptée unanimement. En 1905 il existait notamment la Fédération française de la Libre pensée dominée par les socialistes, l’Association nationale des Libres penseurs de France, d’orientation radicale et dont le président est Ferdinand Buisson ainsi que divers autres groupes.

Le congrès aborde, comme il se doit, diverses questions d’actualité ; ainsi, il réclame la laïcisation de tous les établissements de bienfaisance d’un caractère confessionnel ou religieux et il veut jeter les bases d’une nouvelle Encyclopédie et d’une morale laïque susceptible de remplacer les morales dogmatiques d’essence religieuse. Le Congrès ne manque pas de proclamer son attachement aux valeurs ouvrières de socialisme, d’internationalisme et de pacifisme. Dans la préface au compte-rendu du Congrès, Emile Chauvelon écrit : « Je ne sais pas si je suis Libre penseur parce que collectiviste ou collectiviste parce que Libre penseur ; mais ce qui est certain c’est que je ne puis comprendre le collectivisme à tendance communiste et libertaire sans la Libre pensée et réciproquement. »  [7]

Socialisme et laïcité

La Libre pensée est une organisation pacifiste et le Congrès de Paris le rappelle avec insistance. Sur proposition du socialiste Jean Allemane, est votée la motion qui affirme « le Congrès (...) s’élève avec force contre tout ce qui peut compromettre la paix du monde ». Et, enfin, « le congrès de Paris, considérant que la propriété est la garantie indispensable de la liberté de penser ; que le régime capitaliste n’assure la liberté qu’à une minorité de possédants et constitue donc un obstacle au développement de la Libre pensée ; déclare que la liberté de pensée ne sera entière que le jour où la propriété sociale aura été substituée à la propriété capitaliste des moyens de production et d’échange ». [8] Le délégué ultra-révolutionnaire (à l’époque) Gustave Hervé s’exclame « Il y a trop de Libres penseurs qui croient qu’être Libre penseur c’est parler librement du bon dieu et de la Sainte Vierge et dont l’esprit critique s’arrête quand il faut discuter le dogme de la Sainte propriété ou de la Sainte patrie ! » .

Voici sommairement exposés quelques éléments de la Libre pensée en 1905.

Paradoxalement alors que tout le monde reconnaissait (et reconnaît) la force des libre penseurs en ce combat et en cette année, ils sont allés au combat en ordre dispersé puisque deux grandes organisations nationales, concurrentes, existaient sans parler de groupes isolés. Cette situation perdura pendant des décennies et s’aggrava même dans les années 20 avant que la réunification effectuée au Congrès de Châlons en 1936 ne donne naissance à la Fédération nationale, cadre d’unité et de référence des libre-penseurs et qui l’est resté depuis.

Post-scriptum

Cet article est paru dans la revue Les Idées en mouvement N°122 en octobre 2004.
Jean-Marc Schiappa est président de l’IRELP : l’Institut de recherches et d’études sur la Libre Pensée (IRELP) a été fondé en 1999. Son action se traduit notamment par le rassemblement de la mémoire collective, afin de rendre disponibles les documents et les archives existants sur la Libre Pensée. L’IRELP organise des colloques dont les actes sont réunis dans des publications spécifiques. L’IRELP gère une bibliothèque riche de plus de 2000 ouvrages sur l’histoire de la Libre Pensée et de l’anticléricalisme, sur le rationalisme et le mouvement ouvrier. Il possède plusieurs collections de journaux issu du mouvement libre penseur ou libertaire.
IRELP 10-12 rue des Fossés-Saint-Jacques 75005 PARIS

Notes

[1] J.M. Mayeur La séparation de l’Eglise et de l’Etat, 1966, p.32

[2] L’IRELP a ouvert une souscription pour l’édition d’un ouvrage collectif 1905 ! à paraître en janvier 2005 aux éditions Syllepse

[3] J.Lalouette La libre pensée en France (1848-1940), rééd., 2001, p.263 ne mentionne que “soixante dix sept conférenciers et conférencières”

[4] Compte-rendu officiel du Congrès de Rome (1904), p.184 (archives IRELP).

[5] Ibid., p.193.

[6] Ibid. p 192.

[7] E.Chauvelon, personnage important de la Libre pensée et organisateur du Congrès mondial de 1905, n’est pas même nommé dans l’ouvrage de J.Lalouette !

[8] Compte-rendu officiel du Congrès de Paris (1905), archives IRELP et W.Richier “le congrès du Trocadéro” in 1905 ! (à paraître).