Libre Pensée du Pas-de-Calais

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Publié : 29 août 2005

A propos de l’article 4 de la loi de 1905

par Christian Eyschen, rédacteur en chef de La Raison, mensuel de la Libre Pensée. Publié dans La Raison en mars 2005.

Article 4

Dans le délai d’un an, à partir de la promulgation de la présente loi, les biens mobiliers et immobiliers des menses, fabriques, conseils presbytéraux, consistoires et autres établissements publics du culte seront, avec toutes les charges et obligations qui les grèvent et avec leur affectation spéciale, transférés par les représentants légaux de ces établissements aux associations qui, en se conformant aux règles d’organisation générale du culte dont elles se proposent d’assurer l’exercice, se seront légalement formées, suivant les prescriptions de l’article 19, pour l’exercice de ce culte dans les anciennes circonscriptions desdits établissements.

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Quand les républicains font la première séparation en 1795, quand le prolétariat qui montait à l’assaut du ciel fait la seconde lors de la Commune de Paris en 1871, quand le parti républicain et le mouvement ouvrier s’unissent en 1905 pour faire la loi de 1905, ils font œuvre de liberté et non d’oppression.

La loi de séparation est une loi de divorce et non de persécution, ce n’est pas une loi athée. Les Libres penseurs n’exigent pas, selon la judicieuse formule d’Aristide Briand, que l’Etat persécute la religion, comme hier il persécutait la Libre Pensée. Ils ne demandent qu’une seule chose, que les Eglises ne soient plus sous le bouclier protecteur de l’Etat, de son armée, de sa police, de ses tribunaux et de ses prisons. La lutte philosophique doit être fait d’égale à égale, la Libre Pensée contre l’Eglise. C’est la seule revendication des libres penseurs. Et ils l’obtiennent. Et en l’obtenant, ils remportent la partie qui est décisive. Celle qui verra le triomphe de la Raison contre le dogme. Avec L’Eglise toute puissante, on a vu des milliers de libres penseurs sur les bûchers, avec la Libre Pensée triomphante, on n’a jamais vu une soutane sur les fagots.

C’est pourquoi, tant dans le congrès international de Rome de 1904 que dans les assemblées des libres penseurs en 1905, il n’est pas demandé, à une écrasante majorité, de faire une loi d’exception contre les religions.

Un seul mot d’ordre : la loi commune pour tous !

Le débat sur l’article 4 de la loi de 1905 est éclairant. Il ne s’agit pas pour la majorité des libres penseurs d’imposer un quelconque mode d’organisation à l’Eglise catholique. Si elle devient une association comme une autre, alors elle doit s’organiser librement. Que ce soient les évêques (la hiérarchie) ou les fidèles (le troupeau) qui décident de son mode d’organisation, cela ne concerne que ceux qui font le catholicisme. Personne n’a le droit de lui imposer un quelconque mode de fonctionnement en dehors de l’Eglise et des croyants. Les guesdistes qui veulent imposer un talon de fer organisationnel sur la constitution de l’Eglise ne sont que des totalitaires. Ils auront d’ailleurs la même attitude sur les rapports entre la vieille CGT et la SFIO. La majorité de la Libre Pensée est avec Jean Jaurès contre Jules Guesde, et avec Ferdinand Buisson contre Maurice Allard.

La liberté pour tous ou pour personne !

Le mouvement ouvrier et la Libre Pensée avaient salué l’œuvre des républicains en 1884 qui avaient permis aux travailleurs de s’organiser librement dans des syndicats ouvriers. La République n’avait pas à dicter des formes d’organisation à la classe ouvrière. Elle fait de même pour l’Eglise catholique en 1905. La liberté pour tous, ou ce n’est la liberté pour personne. Ce sont les mêmes principes politiques démocratiques qui s’appliquent dans ces deux cas. Notons que ceux qui veulent imposer un système « démocratique » de fonctionnement à l’Eglise font la même erreur que la Constitution civile du Clergé de 1791. L’Etat doit se mêler des affaires religieuses. Ce n’est pas la séparation, c’est l’ingérence de l’Etat dans l’Eglise. La séparation, c’est le divorce de l’Etat et des Eglises, ce n’est pas le droit de l’ex-mari de décider à la place de l’ex-épouse comment elle doit vivre. Cela s’appelle tout simplement la démocratie.

Respecter l’histoire et non la falsifier

La Libre Pensée, en se prononçant pour la défense, la restauration et la promotion de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat, exige, comme ses aînés, le retour aux principes originaux. Il faut être d’une imbécillité congénitale doublée d’une mauvaise foi évidente, affublée de surcroît d’une ignorance historique crasse, pour prétendre que défendre la loi de 1905, c’est réclamer l’application des lois de Vichy qui l’ont dénaturées profondément. Ce raisonnement spécieux amènerait à condamner les lois laïques de 1881, 1882 et 1886 au motif qu’elles ont été bafouées et gravement remises en cause par les lois Debré, Haby, Guermeur, Jospin, Lang et tant d’autres qui se sont penchés sur les fronts baptismaux de l’école privée. Ce type d’arguments donne une idée assez précise de la profondeur abyssale de la stupidité humaine et de la malhonnêteté intellectuelle érigée en mode de pensée (mais peut-on encore employer ce mot ?) en matière politique.

De même, la critique nécessaire (car toute critique est nécessaire) sur le rôle et l’action d’hommes comme Jean Jaurès, Ferdinand Buisson et Aristide Briand ne peut se faire valablement que sur leurs actions faites au moment du débat sur la loi de 1905. Juger l’action d’avant-hier d’un homme sur ce qu’il a fait hier en utilisant des critères d’aujourd’hui, cela porte un nom. C’est l’Inquisition en matière historique. C’est la vérité révélée comme instrument de revisite de l’Histoire. Rien n’est plus éloigné de cela que la Libre Pensée qui est une méthode de pensée libre. Quand le concept précède la preuve, quand on juge un homme ou un événement avec de telles méthodes, où est la vérité historique ?

Faut-il taire le Mirabeau de 1789 qui dresse la volonté de la Nation contre la force des baïonnettes, qui récuse la notion de tolérance dans la Déclaration des Droits de l’Homme pour y faire ajouter l’égalité des droits, parce qu’il a émargé ensuite sur la liste civile du roi ? Cette méthode nous est totalement étrangère. Mais la falsification historique est toujours au service d’une politique. Quand l’Eglise présente aujourd’hui la loi de 1905 comme un compromis imposé par des « laïcs ouverts » avant la lettre contre des libres penseurs intransigeants, quand certains factotum néo-cléricaux prétendent que défendre la loi de 1905, c’est défendre l’œuvre de Vichy, quand d’autres stigmatisent l’Aristide Briand de 1905 au nom du même en 1924 ; ce n’est pas seulement forcer l’histoire. C’est surtout participer à une offensive contre la loi de séparation des Eglises et de l’Etat. Et cela prouve, une fois de plus, qu’il y a « plusieurs demeures dans la maison du Père ». Mais ce « Père » n’est pas le notre, on leur laisse bien volontiers et avec toutes leurs demeures respectives.

Pour notre part, nous continuerons à défendre la loi de 1905, becs et ongles. Aux côtés de Thomas Jefferson, de Jean Jaurès, d’Emilio Zapata et de Lénine, entre autres.