Libre Pensée du Pas-de-Calais

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Publié : 21 mars 2007

Franchise médicale : le double discours de Nicolas Sarkozy

Message à tous les signataires du Manifeste :

« La contre-réforme du système de santé : un tissu de mensonges »

En 2005, vous avez été l’un des 30.000 signataires de ce Manifeste qui dénonçait les mensonges de la réforme Douste-Blazy.

En 2007, nous tenions à vous informer du risque d’accélération du dépeçage du modèle de système de santé français qui se prépare, dans la continuité de la contre-réforme de 2005.

« franchise : n.f. 1. qualité d’une personne franche, sincérité, droiture ; 2. clause d’une assurance qui fixe une somme forfaitaire restant à la charge de l’assuré »

Mai 2004. Sur le plateau de « Cent minutes pour convaincre », le spectre d’une franchise sur les remboursements de soins est pour la première fois agité devant les Français. Et c’est Philippe Douste-Blazy, venu vanter sa réforme de la dernière chance, qui, dans son style inimitable, fait rempart de son corps pour sauver la protection sociale à la française de cette menace : « des gens...nous envoient des mails et...disent, “ Ce n’est pas compliqué, faisons une franchise...les 100, ou 200, ou 300 premiers euros par personne, vous les payez, après ça sera l’Assurance maladie ”. Ça...je le refuse... parce que c’est comptable, c’est injuste parce qu’on ne peut pas faire payer de la même manière celui qui a un gros salaire, que celui qui est au SMIC, le système changera, ce ne sera plus le système de l’assurance maladie que l’on connaît »

Si par pudeur le Ministre de la Santé de l’époque gardait la discrétion sur l’anonyme spammeur qui lui envoyait des mails en ce sens, ce secret était un secret de Polichinelle. L’homme qui enjoignait alors Philippe Douste-Blazy de prendre des mesures drastiques n’était autre que son homologue des Finances, Nicolas Sarkozy, lequel dès 2001, dans « Libre », écrivait : « Je crois utile qu’un système de franchise soit mis en place comme pour tout processus d’assurance. Ainsi les 500 premiers francs [76,22 €] de dépenses de santé annuelles des assurés sociaux ne seraient pas remboursés, afin de responsabiliser ceux-ci. »

« Responsabiliser les assurés »... Ce vieux dogme néolibéral qui tente de reporter la faute du déficit sur des assurés sociaux infantiles au comportement irresponsable, et des médecins laxistes, complices, sans jamais interroger l’équation financière de la protection sociale, de plus en plus déficitaire au fur et à mesure que s’amenuisent les revenus du travail au profit des revenus spéculatifs.

« Responsabiliser les assurés », ce fut l’axe principal de la réforme Douste-Blazy, dont on voit bien aujourd’hui, lorsque ce vaillant défenseur de la protection sociale vient faire la claque aux meetings de son nouveau leader, qu’avec sa franchise de 1 euro sur les consultations et les actes de biologie médicale ( à hauteur de 50 euros annuels), il n’a fait que mettre le pied à l’étrier à la franchise Sarkozy à laquelle il prétendait barrer la route. Incohérence, quand tu nous tiens...

A la convention Santé de l’UMP, en juin 2006, après l’habituel couplet sur les abus et les fraudes (parfait pour désespérer la population de la notion de solidarité), Nicolas Sarkozy pose LA question : « Nous parlons d’assurance maladie... Y a-t-il une seule assurance sans franchise ? » Escamotant habilement le mot « solidaire », il traite la protection sociale comme une simple question d’assurance commerciale. Mais se garde d’avancer un chiffre. Car la franchise sur les remboursements modifierait profondément le système de protection sociale. L’entourage néolibéral de l’homme qui cite Jaurès pour appliquer le programme de Thatcher le sait bien : un système de franchise « forfaitaire et acquittée chaque trimestre » aurait des effets dramatiques pour les patients aux faibles revenus, mais pas assez pauvres pour en être dispensés. Certains d’entre eux amputeraient leur train de vie modeste pour pouvoir accéder aux soins. D’autres tenteraient de les retarder, y renonceraient. Tous seraient fragilisés, et cette précarité dans le domaine fondamental qu’est la santé les rendrait plus « flexibles » encore.

Confrontés à la croissance des dépenses de santé, aucun pays européen ne s’est lancé dans un dispositif semblable, connaissant l’importance de la médecine de premier recours en terme de santé publique et de prévention. Notons cependant que Nicolas Sarkozy se garde bien de porter atteinte aux intérêts des firmes pharmaceutiques : la franchise ne s’appliquera pas au médicament, car, selon Nicolas Sarkozy « ça pénalise celui qui est très malade ». Pas de doute, la France conserverait sous Nicolas Sarkozy sa première place mondiale en terme de consommation pharmaceutique.

« Comment comprendre que le paiement d’une franchise soit insupportable dans le domaine de la santé alors qu’une charge de plusieurs centaines d’euros par an pour la téléphonie mobile ou l’abonnement Internet ne pose pas de question ? » pointe François Fillon, comparant sans vergogne la santé des malades à la téléphonie mobile, conformément au grand rêve de l’Organisation Mondiale du Commerce : « Un Peuple, un Empire, Un Hypermarché ». En Novembre 2006, présentant le projet de l’UMP, il précisera les détails du système envisagé : il s’agirait de remplacer « les forfaits mis en place ces dernières années » par une franchise annuelle de 50 à 100 euros, modulable.

Mais étrangement, devant le panel venu récemment l’interroger sur TF1, et 9 milllions de téléspectateurs, Nicolas Sarkozy livre un tout autre chiffre : sa franchise n’est plus de 100 euros, mais... représenterait seulement « les 5 ou 10 premiers euros de dépense de santé chaque année », puis, dans un autre entretien, « quelques centimes à quelques euros pour chaque acte ».

C’est qu’entre-temps Xavier Bertrand, actuel Ministre de la Santé devenu porte-parole et « caution sociale » juppéiste du candidat qui cite Jaurès pour mieux masquer le programme de Thatcher, a fait remonter à Nicolas Sarkozy une note des fonctionnaires de la Direction de la Sécurité Sociale détaillant les « inconvénients socio-économiques » de cette mesure, à savoir, que 27% de la population ne percevraient plus un centime de la Sécu chaque année ( tout en continuant à cotiser). Ceci « pourrait fragiliser l’adhésion à l’assurance-maladie obligatoire ». Mais n’est-ce pas, de manière discrète, le but poursuivi de longue date par les néolibéraux, tandis que dans leur ombre les assurances privées attendent derelever « les défis des réformes à venir qui transformeront profondément l’intervention des acteurs complémentaires, notamment dans le domaine de la santé, pour jouer un rôle de premier plan dans l’amélioration des services de protection sociale. »

Difficile dans ce contexte de pousser les feux, et Nicolas Sarkozy tente de minorer la franchise pour éviter un faux-pas électoral. Reste que depuis la réforme Douste-Blazy, les forfaits sur les soins se sont multipliés, augmentant le reste à charge de l’assuré. Remplacer ces forfaits par une franchise ne se conçoit que si celle-ci dépasse, et de loin, les « quelques centimes à quelques euros pour chaque acte » qu’avance maintenant prudemment Nicolas Sarkozy pour ne pas effrayer l’électeur. De même, il ne répète plus que : « Si les dépenses augmentent, et donc le déficit augmente, on pourrait alors augmenter le montant de la franchise. »

Philippe Douste-Blazy le disait dès 2004 : « Qu’est-ce qui se passe quand il y a une franchise de 200 euros ? Eh bien vous avez tout de suite des gens pour vous dire, moi je vous les paie, les assureurs, c’est un système que je ne veux pas, en tout cas je ne resterais pas dans ce système politique si vraiment on perd le système de la protection sociale. »

Sans attendre (ne rêvons pas) que l’ancien Ministre de la Santé mette ses actes en concordance avec ses paroles, patients et professionnels de santé doivent se mobiliser, et apprendre à se méfier de la franchise à géométrie variable de Nicolas Sarkozy.

Christian Lehmann

Post-scriptum

Christian Lehmann est médecin généraliste et écrivain.
Dernier ouvrage : «  Les Fossoyeurs... Notre santé les intéresse », éditions PRIVE, février 2007.