Libre Pensée du Pas-de-Calais

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Publié : 28 mars 2005

Réunion publique "Constitution européenne et laïcité"

Compte- rendu des débats lors de la réunion du 25 mars 2005 à Calais

La Libre Pensée du Pas-de-Calais a organisé vendredi soir une conférence publique sur le thème " constitution européenne et laïcité "au Musée des Beaux-Arts et de la Dentelle. Une soixantaine de personnes étaient présentes pour écouter Christian EYSCHEN, rédacteur en chef de la " La Raison ", revue de la Libre Pensée et Gérald BERTON syndicaliste, membre de la Commission administrative académique SNES-FSU et du conseil fédéral départemental de la FSU du Pas de Calais.

Après une rapide définition de la Laïcité par un libre penseur, la parole est donnée aux orateurs.

Une constitution contraire au principe de laïcité

Après avoir apporté le salut fraternel de la Fédération nationale de la Libre Pensée, Christian Eyschen a rappelé quelques faits. La loi de 1905 a été profondément dénaturée par le gouvernement de Pétain. La religion catholique s’est alors vu restituer des biens qu’elle avait dû rendre en 1905. Ces lois n’ont jamais été abrogées depuis. En 1958 les lois Debré donnent une possibilité de financement des écoles privées. Le statut dérogatoire de l’Alsace-Moselle et de certains territoires d’outremer bafoue toujours notre constitution laïque. La dernière loi laïque "sur le voile " n’est pas appliquée dans certains territoires d’outremer.

Puis il a entrepris de démontrer pourquoi la Libre pensée appelle les citoyens à voter NON au referendum sur la constitution européenne . En effet, les articles I-11, I-52, et II-70 posent particulièrement problème en regard de la tradition laïque de la France.

  • L’article I-11 affirme que « les principes de subsidiarité et de proportionnalité régissent l’exercice de ces compétences. »

Or, le principe de subsidiarité est directement issu de la doctrine sociale de l’Eglise catholique. Le Pape Pie XI le définit dans l’encyclique "Quadragesimo Anno" en 1931 : « Que l’autorité publique abandonne donc aux groupements de rang inférieur le soin des affaires de moindre importance où se disperserait à l’excès son effort ; elle pourra dès lors assurer plus librement, plus puissamment, plus efficacement les fonctions qui n’appartiennent qu’à elle, parce qu’elle seule peut les remplir ; diriger, surveiller, stimuler, contenir selon que le comportent les circonstances ou l’exige la nécessité. » Cette définition des fonctions étatiques correspond à l’Ancien régime monarchique : l’Etat n’assume que les fonctions répressives et laisse aux « corps intermédiaires » comme l’Eglise la gestion de tout le reste : services sociaux, écoles, santé, transports, énergie, télécommunications, etc. Or, cette politique conduit à la privatisation de tous les services publics que nous connaissons actuellement pour les confier à des intérêts privés, au détriment de l’égalité d’accès des citoyens. Ce principe fondamental de l’Union européenne est donc en contradiction flagrante avec nos principes républicains.

  • L’article I-52 est ainsi rédigé : « 1 / L’Union respecte et ne préjuge pas du statut dont bénéficient, en vertu du droit national, les églises et les associations ou communautés religieuses dans les Etats membres. 2 / L’Union respecte également le statut dont bénéficient, en vertu du droit national, les organisations philosophiques et non confessionnelles. 3 / Reconnaissant leur identité et leur contribution spécifique, l’Union maintient un dialogue ouvert, transparent et régulier avec ces églises et organisations. »

Cependant, l’article I-47 indique dans son alinéa 2 : « Les institutions entretiennent un dialogue ouvert, transparent et régulier avec les associations représentatives et la société civile. » Les Eglises sont donc distinguées de la société civile alors que, de fait, elles en font partie. Pourquoi donc opérer cette distinction ? Le vendredi 18 mars 2005 plusieurs associations européennes ayant la liberté absolue de conscience et la laïcité inscrites dans leurs statuts, dont la Fédération nationale de la Libre Pensée, ont été reçues par le Docteur Michael Weninger, conseiller politique du Président Barroso ( chargé des relations avec les Eglises, Religions et Humanismes) au Berlaymont, siège de l’Union européenne.

En parlant de l’article I-52, le docteur Weninger précisait : « Un article supplémentaire a été nécessaire pour distinguer les Eglises et les religions d’avec les membres de la société civile, car ce n’est pas la même chose. Les religions, c’est la Transcendance, alors que la société civile, c’est l’immanence. Les Eglises sont au-dessus de la société, elles ne sont pas au même niveau que les autres associations. » L’Union européenne reconnaît donc institutionnellement le caractère "supérieur" des Eglises et des relations avec les religions. Le traité constitutionnel européen c’est donc un article 47 pour le dialogue avec le bas peuple et un article 52 pour les relations « transcendantales » avec les religions ! Où est l’égalité ?

Autre preuve que l’Union Européenne promeut le cléricalisme, en particulier catholique, José Manuel Durao Barroso, en sa qualité de président de la Commission européenne, a participé à l’Assemblée plénière de printemps de la COMECE ( Conférence européenne des évêques catholiques) qui s’est tenue du 9 au 11 mars 2005. Celui-ci a déclaré, à cette occasion « l’Union européenne et l’Eglise partagent des valeurs très semblables.... ». Il a reconnu le « rôle significatif joué par l’Eglise tout au long de l’histoire de l’intégration européenne » et a salué « la réflexion théologique sur la construction européenne ». Les évêques catholiques ont demandé alors au Président Barroso « de s’engager activement avec les Eglises dans un partenariat pour le changement, afin de construire une Europe basée sur des valeurs, dans des matières, telle que l’emploi, la famille et la recherche ». Quand on connaît les "valeurs" du Vatican sur le partage en matière économique, sur son action familialiste et sur les limitations de la recherche scientifique, il y a de quoi être vraiment inquiet pour la démocratie.

  • L’article I-70 est ainsi rédigé : « Liberté de pensée, de conscience et de religion. 1 / Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion. Ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites. »

Aux interrogations des associations qui l’interrogeaient sur la signification juridique du terme "en public", le Docteur Weninger a répondu que c’était « la reprise d’une formule traditionnelle qui permet l’expression d’une opinion et d’une appartenance. C’est le droit de manifester son opinion partout. En France, c’est très compliqué. Je ne sais pas comment cela sera appliqué. Tout dépendra de l’interprétation. On peut comprendre aussi que cela est permis dans la sphère publique. » La Libre Pensée est très inquiète du flou de la réponse de l’Union européenne. Le refus d’indiquer clairement si l’expression "en public" inclut aussi les services publics n’est pas de nature à la rassurer mais, au contraire, à renforcer ses craintes. En effet, il n’y a qu’en France que la laïcité des services publics existe réellement comme un principe intangible. Le prosélytisme religieux risque donc d’être légitimé par l’Union européenne dans la sphère publique, comme cela se passe dans la plupart des autres pays en Europe.

Puis Gérald Berton, pour le SNES-FSU, présenta l’analyse de son syndicat. Il rappela le profond attachement du SNES au principe de laïcité, et en particulier dans le cadre scolaire. Il évoqua le contexte actuel où se multiplient les attaques contre la laïcité scolaire : signes religieux, repas particuliers selon la confession, aménagements d’horaires pour les femmes musulmanes dans les piscines, etc.

Puis il indiqua clairement que les articles I-52 et II-70 évoqués ci-dessus étaient en contradiction avec la pratique de la laïcité en France. La reconnaissance des Eglises au niveau de l’Union européenne est en effet en complète contradiction avec la loi de Séparation des Eglises et de l’Etat de 1905. En revanche, elle conforte le concordat qui s’applique actuellement en Alsace-Moselle et que le SNES dénonce depuis si longtemps e dont il exige l’abrogation. De plus, l’article II-70 s’attaque à tout l’édifice juridique laïque du pays, puisque l’expression « en public » permettra d’afficher de nouveau des signes religieux sur les bâtiments publics, aux personnels et aux élèves d’afficher sans vergogne leurs convictions religieuses sans limite.

Il conclut son propos en rappelant que le combat actuel est plus largement de défendre les conquêtes réalisées à la sortie de la seconde guerre mondiale sous l’impulsion du Conseil National de la Résistance : création de services publics puissants pour permettre l’égalité effective entre citoyens, retraites, droits sociaux et syndicaux, etc. La politique impulsée par l’Union européenne et par les gouvernements français successifs met en effet en péril ces acquis sociaux portés par le mouvement laïque en France.

Un public très concerné et informé

Après 30 minutes d’exposé, la parole est donnée à la soixantaine de personnes présentes. De nombreux intervenants appartenant à des organisations diverses (ATTAC, la CGT, FO, la Libre Pensée du Nord...) s’expriment alors. Ils abondent dans le sens des orateurs pour dénoncer cette constituion comme un mauvais traité qui doit être rejeté, et abordent des questions complémentaires.

Des inquiétudes se font jour sur le caractère non démocratique de l’élaboration de cette constitution européenne. Les associations et les citoyens n’ont en effet pas été consultés au moment de son élaboration puisque la convention qui l’a rédigée comportait uniquement des membres désignés par les gouvernements. Or, pour donner une légitimité démocratique à cette assemblée, il aurait fallu voter pour que les peuples européens y désignent leurs élus en leur donnant un mandat précis : c’est le principe de l’assemblée constituante. D’ailleurs ATTAC s’est vu refuser la possibilité de participer à la rédaction de cette constitution, alors qu’elle l’a demandée plusieurs fois.

Plusieurs personnes dénoncent la charte des droits sociaux (la partie II du traité) car elle est notoirement insuffisante et ne garantit en rien les droits des travailleurs conquis de hautes luttes, mais au contraire les soumet à la « concurrence libre et non faussée » promue comme principe fondamental.

Une personne note que le mot laïcité n’apparaît jamais dans le texte de cette constitution. Or, notre liberté est tributaire de cette notion de laïcité. Sans laïcité il n’est point envisageable de parler de liberté. La situation de la laïcité dans l’Union Européenne est ensuite abordée. Exceptée la France, deux pays ont évolué vers la laïcité institutionnelle : le Portugal qui a adopté une constitution laïque et la Suède qui a abandonné en 2001 la religion d’état pour une séparation effective de l’Etat et des Eglises. Quatorze concordats sont toujours en vigueur en Europe, quatre pays (Espagne, Italie, Autriche, Allemagne) reconnaissent toujours juridiquement le délit de blasphème. Cependant, l’Eglise catholique fait le forcing en Europe pour faire adopter des concordats, en particulier dans l’Europe orientale. En effet, grâce à l’article I-52, la constitution garantira par la primauté du droit européen leur application sans qu’un Etat ne puisse les remettre en cause. Au moment de sa signature, cette constitution figera l’état des relations existantes entre les Etats et les Eglises. Il est donc à supposer que, par exemple, la révision du statut de l’Alsace-Moselle, en France, nécessiterait pour être effectif un vote favorable et unanime des 25 pays européens signataires de la constitution.

De plus, il est avéré que l’Union européenne a des effets sur notre vie de tous les jours. Ainsi les directives libérales européennes qui prônent la concurrence ont eu un effet néfaste sur le réseau français de mutuelles. Les directives adoptées ont obligé les mutuelles à répondre aux mêmes obligations que les assurances privées : 4000 mutuelles ont ainsi déjà disparues.

La crainte de devoir voter plusieurs fois jusqu’à une réponse positive comme cela s’est produit dans d’autres pays de l’Union européenne a été évoquée, mais elle a été nuancée par le fait que si le non l’emportait au referendum en France, la crise politique ouverte serait telle que cette hypothèse serait politiquement insoutenable. En outre, la France ne semble pas être le seul pays ayant une opinion défavorable envers la ratification de la constitution. L’Angleterre et la Hollande, pourtant jusqu’ici un pays très favorable à la construction européenne, sont alors citées. L’action outrancière de certains partis politiques pour un vote favorable, ou l’utilisation par le gouvernement des institutions et des médias pour favoriser le vote du oui ont été dénoncées par plusieurs participants. Le parti du NON aura t-il les même temps d’audience que le parti du OUI ?

En conclusion, cette constitution totalement antilaïque préserve les avantages cléricaux des Eglises et fait des religions les "partenaires transcendantaux" de l’Union européenne ! En outre, elle interdit d’étendre le principe de laïcité aux Etats membres qui ne l’appliquent pas, et menace directement nos acquis laïques en France. C’est pourquoi la Fédération nationale de la Libre pensée appelle tous les laïques à dire NON à cette constitution le 29 mai 2005.