Libre Pensée du Pas-de-Calais

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Publié : 6 avril 2005

Qu’en sera-t-il des services publics ?

Cet article a été rédigé par Philippe Lestang, militant du SNES-FSU. Il connaît très bien les questions internationales et en particulier européennes car il a participé à de nombreuses rencontres intersyndicales et altermondialistes à ce niveau.

La seule modification apportée par la Libre Pensée du Pas-de-Calais est d’avoir cité in extenso les articles évoqués. Cela n’enlève rien à la qualité de la démonstration, bien au contraire...

Cette constitution menace directement nos services publics laïques, solidaires et facteurs d’égalité territoriale.


Le droit à l’éducation, à la santé, à la culture, au travail, au logement, à un minimum de moyens d’existence, à l’accès à l’eau, à l’électricité, à des moyens de transport et de communication exige des pouvoirs publics qu’ils en garantissent le service. C’est là un choix de société ; une société où la collectivité prend en charge les coûts de ces services, au delà des notions de rentabilité et de concurrence...

Dans le texte de la Constitution, la notion de service public n’est abordée qu’une seule fois sous l’angle d’une obligation pour l’Etat (Art. III-238), mais en réfutant la notion d’aide publique au profit d’un « remboursement »...

Article III-238 :

« Sont compatibles avec la constitution les aides qui répondent aux besoins de la coordination des transports ou qui correspondent au remboursement de certaines servitudes inhérentes à la notion de service public. »

En fait ce qui tend à remplacer les services publics dans le vocabulaire de la Constitution, ce sont les SIEG (services d’intérêt économique général). Mais ceux-ci ne sont pas définis dans le texte de la Constitution ! On en trouve cependant une description dans certains documents publiés par la... Commission Européenne !!! (Notes de 2000, Livre Vert de 2003 et Livre Blanc de 2004.) :

 1. Annexe 1 du Livre Blanc : « Les termes « service d’intérêt général » et « service d’intérêt économique général » ne doivent pas être confondus avec l’expression « service public » » (page 23).

 2. Les pouvoirs publics ne pourront créer des SIEG qu’à condition qu’ils satisfassent à certaines exigences.

  • a.Que le marché ne fournisse pas le service (on voit bien que l’éducation, par exemple, ne correspond pas au profil du SIEG...)
  • b.Que le SIEG respecte les règles de la concurrence (III-166).
Article III-166 :

« 1. Les États membres, en ce qui concerne les entreprises publiques et les entreprises auxquelles ils accordent des droits spéciaux ou exclusifs, n’édictent ni ne maintiennent aucune mesure contraire à la Constitution, notamment à l’article I-4,paragraphe 2, et aux articles III-161 à III-169.

2. Les entreprises chargées de la gestion de services d’intérêt économique général ou présentant le caractère d’un monopole fiscal sont soumises aux dispositions de la Constitution, notamment aux règles de concurrence, dans la mesure où l’application de ces dispositions ne fait pas échec à l’accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie. Le développement des échanges ne doit pas être affecté dans une mesure contraire à l’intérêt de l’Union.

3. La Commission veille à l’application du présent article et adopte, en tant que de besoin, les règlements ou décisions européens appropriés. »

Ainsi, l’article II-96 de la Constitution est loin d’être aussi rassurant que certains se plaisent à l’affirmer :

Article II-96 :

« L’union reconnaît et respecte l’accès aux services d’intérêt économique général, tel qu’il est prévu par les législations en vigueur et pratiques nationales, conformément à la Constitution, afin de promouvoir la cohésion sociale et territoriale de l’union. »

On voit bien la primauté accordée à l’objectif de rentabilité sur celui d’utilité sociale. Un SIEG n’est rien d’autre qu’une exception au marché et les missions d’intérêt général peuvent aussi bien être assurées par des entreprises privées. Nulle part dans cette Constitution n’est affirmé le droit au service, aux biens communs de l’humanité (énergie, eau, communication, éducation, santé, culture.)

Alors que le Traité de Nice inscrivait les services publics dans les « valeurs communes de l’Union », la Constitution n’en fait rien. Bien au contraire, elle en repousse les limites d’application, ne mentionnant même pas ceux-ci (ni même les SIEG d’ailleurs) dans la liste des aides publiques qui sont compatibles avec ses propres dispositions (Article III-167)

Article III-167 :

« -1. Sauf dérogations prévues par la Constitution, sont incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États membres ou au moyen de ressources d’État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions.

 2. Sont compatibles avec le marché intérieur :

  • a) les aides à caractère social octroyées aux consommateurs individuels, à condition qu’elles soient accordées sans discrimination liée à l’origine des produits ;
  • b) les aides destinées à remédier aux dommages causés par les calamités naturelles ou par d’autres événements extraordinaires ;
  • c) les aides octroyées à l’économie de certaines régions de la République fédérale d’Allemagne affectées par la division de l’Allemagne, dans la mesure où elles sont nécessaires pour compenser les désavantages économiques causés par cette division. Cinq ans après l’entrée en vigueur du traité établissant une Constitution pour l’Europe, le Conseil, sur proposition de la Commission, peut adopter une décision européenne abrogeant le présent point.

 3. Peuvent être considérées comme compatibles avec le marché intérieur :

  • a) les aides destinées à favoriser le développement économique de régions dans lesquelles le niveau de vie est anormalement bas ou dans lesquelles sévit un grave sous-emploi, ainsi que celui des régions visées à l’article III-424, compte tenu de leur situation structurelle, économique et sociale ;
  • b) les aides destinées à promouvoir la réalisation d’un projet important d’intérêt européen commun ou à remédier à une perturbation grave de l’économie d’un État membre ;
  • c) les aides destinées à faciliter le développement de certaines activités ou de certaines régions économiques, quand elles n’altèrent pas les conditions des échanges dans une mesure contraire à l’intérêt commun ;
  • d) les aides destinées à promouvoir la culture et la conservation du patrimoine, quand elles n’altèrent pas les conditions des échanges et de la concurrence dans l’Union dans une mesure contraire à l’intérêt commun ;
  • e) les autres catégories d’aides déterminées par des règlements ou décisions européens adoptés par le Conseil sur proposition de la Commission. »

Cette Constitution ne protège donc en aucun cas les services publics : elle met en place les mécanismes permettant de les détruire en interdisant aux pouvoirs publics locaux, régionaux et nationaux de créer des activités de service ouvertes à tous et dont les coûts seraient mutualisés. Elle interdit par ailleurs la création de services publics européens, mais en revanche ouvre la porte à l’Accord Général sur le Commerce des Services (AGCS) de l’OMC qui pourra s’appliquer totalement sans que les Etats puissent s’y opposer.

Philippe Lestang


Sources : Raoul Marc JENNAR « Quand l’Union Européenne tue l’Europe » ; L’Humanité : « Supplément à l’Humanité Hebdo du samedi 16 et dimanche 17 octobre 2004 »