Libre Pensée du Pas-de-Calais

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Publié : 12 avril 2005

Avortement et constitution européenne

Contrairement aux religions, l’avortement n’est pas reconnu par la constitution européenne. Loin d’être un hasard anecdotique, cette absence est un fait politique majeur : un droit essentiel des femmes européennes est ainsi rayé de la loi fondamentale. Cette non-constitutionnalisation de l’avortement implique que ce droit n’est pas essentiel et qu’il peut donc être remis en cause selon les traditions nationales diverses des Etats membres.

Article II-62 : Droit à la vie

« 1. Toute personne a droit à la vie.

2. Nul ne peut être condamné à la peine de mort, ni exécuté. »

Le préambule de la partie II du traité constitutionnel précise que l’Union européennee « place la personne au coeur de son action en instituant la citoyenneté de l’Union et en créant un espace de liberté, de sécurité et de justice ». Or, cette notion de personne n’est jamais définie juridiquement dans le texte pourtant long de 852 pages. Ce qui est étrange c’est que notre droit français et les conventions internationales des droits de l’homme évoquent non pas la personne, mais l’individu. Ainsi l’article 3 de la Déclaration universelle des droits de l’homme votée par l’ONU en 1948 proclame que « Tout individu a droit à la vie ». Dans ces textes l’individu est défini par sa naissance et par ses droits de citoyen, ce qui ne souffre aucune ambigüité. En revanche, la notion de personne n’étant pas définie précisément d’un point de vue juridique, son statut peut encore évoluer selon la jurisprudence.

Et les déclarations annexes à la constitution reprenant les analyses du praesidium ne peuvent que nous inquiéter. Ces considérations ne sont pour une grande partie qu’une reprise de textes européens précédents, comme la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales ’CEDH) datant du 4 novembre 1950, mais elles nuancent très fortement ce droit à la vie.

Ainsi peut-on lire concernant cet article II-62 :

« Explication

1. Le paragraphe 1 de cet article est fondé sur l’article 2, paragraphe 1, première phrase, de la CEDH, dont le texte est le suivant : « 1. Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. ».  »

Il suffirait donc que la Cour européenne des droits de l’homme ou la cour européenne de justice considère que le foetus est une personne pour que l’avortement soit interdit dans toute l’Union européenne. Et l’on sait que de nombreuses associations religieuses intégristes militent au niveau européen pour cette reconnaissance du foetus comme personne. Elles sont aidées pour cela par les hiérarchies de tous les cultes (catholique, orthodoxe, musulman, anglican, protestant, juif, etc.). La doctrine chrétienne reconnaît en effet l’existence de la personne, soumise à Dieu, et rejette la notion d’individu autonome capable d’édicter ses propres règles en dehors des commandements de dieu. Cette émergence de la notion de personne au détriment de l’individu est à relier avec la reconnaissance des "contributions spécifiques" des religions (article I-52). On voit bien dans ce cas d’espèce à quoi pourraient ressembler leurs "contributions". Ne pas affirmer nettement le droit à l’avortement dans la constitution c’est donc permettre aux lobbys religieux de tenter de le faire interdire de fait, mais aussi en droit dans une perspective plus lointaine.

les protocoles annexes pour Malte et l’Irlande

Deux Etats ont d’ailleurs fait inscrire dans les protocoles annexes à la constitution la garantie que leur législation anti-avortement perdurerait : l’Irlande et Malte.

Ainsi l’Irlande a obtenu la garantie suivante :

« Protocole sur l’article 40.3.3 de la Constitution de l’Irlande :

Article unique :

Aucune disposition du traité établissant une Constitution pour l’Europe, ni des traités et actes le modifiant ou le complétant, n’affecte l’application en Irlande de l’article 40.3.3 de la Constitution de l’Irlande. »

Cet article de la constitution irlandaise dit que l’Etat reconnaît le droit à la vie de l’enfant à naître et que, considérant de façon équivalente le droit à la vie de la mère, l’Etat garantit dans sa loi de le respecter, autant que faire se peut, et de défendre et de promouvoir ce droit [à la vie de l’enfant à naître]. Cette limitation drastique de la liberté d’avorter est donc garantie pour l’éternité puisqu’aucune disposition de ce traité ni des suivants quels qu’ils soient ne pourront affecter cette loi irlandaise. On se demande bien pourquoi la France n’en a pas fait autant avec la loi de Séparation des Eglises et de l’Etat...

Aujourd’hui en Irlande la jurisprudence ne reconnaît le droit à l’avortement que si la vie de la femme est en jeu, en particulier si celle-ci menace de se suicider...

Malte a obtenu dans les protocoles annexes une garantie très semblable à celle de l’Irlande :

« Dispositions relatives à l’avortement à Malte :

Aucune disposition du traité établissant une Constitution pour l’Europe ni des traités et actes le modifiant ou le complétant n’affecte l’application, sur le territoire de Malte, de la législation nationale relative à l’avortement. »

Quelles que soient les évolutions à venir, l’interdiction de l’avortement à Malte sera maintenue. On se demande bien pourquoi les Etats garantissant le droit à l’avortement dans leurs législations nationales n’ont pas, eux, fait inscrire dans la constitution cette clause d’intangibilité de leur droit national en la matière... Peut-être pour pouvoir le remettre en cause, le faire "évoluer" si nécessaire ?

En conclusion, dans le domaine du droit à l’avortement,, tout ce qui écrit dans la constitution ne garantit aucunement l’application de ce droit, mais annonce plutôt sa remise en cause. Jamais n’est évoqué le droit des individus (et donc des femmes) à disposer de leur corps en toute liberté et sans contrainte. L’extension du droit à l’avortement aux femmes qui ne peuvent pas y recourir actuellement à cause de législations nationales rétrogrades influencées par les Eglises serait tout simplement inenvisageable selon la rédaction actuelle de la constitution européenne.

La situation actuelle au Portugal

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La séparation des Eglises et de l’Etat au Portugal : une réalité en 1910, un combat en 2005 !

Le Portugal interdit toujours l’avortement et le réprime pénalement. En 1999, deux jeunes femmes et une sage-femme ont été accusées d’avoir pratiqué des avortements. Elles ont été relaxées en 2002 faute de preuves... mais le Parquet, représentant l’Etat portugais, a alors fait appel ! Ce nouveau procès se déroule actuellement et mobilise de nombreuses féministes dans le pays. Le changement politique récent (les socialistes ont gagné les législatives) va peut-être permettre de faire voter une loi en faveur de l’avortement. Mais les nouveaux gouvernants voudraient la soumettre à referendum pour échapper à leur responsabilité, laissant ainsi le temps à l’Eglise catholique portugaise, encore très puissante, de mobiliser l’opinion à coups d’anathèmes contre cette reconnaissance de la liberté des femmes. Or, dans un tel contexte, si le Portugal avait pu s’appuyer sur un texte de l’Union en faveur du droit à l’avortement, il est évident que cela aurait pesé de tout son poids dans la bataille. Mais loin de combattre les obscurantistes et leur haine des libertés individuelles, l’Union européenne les laisse entrer comme groupes de pression organisés dans les institutions de l’Europe. Et tout cela au mépris de toute procédure démocratique...

L’exemple du Portugal où un changement de majorité politique peut amener un renouveau des libertés individuelles doit nous inciter à rejeter ce traité constitutionnel européen. En effet, celui-ci n’institue aucun nouveau droit pour les citoyens et citoyennes en Europe. Au contraire, il prépare le terrain à des régressions sociales inimaginables il y a encore 10 ans.