Libre Pensée du Pas-de-Calais

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Publié : 16 avril 2005

"Il faut absolument empêcher la ratification de cette Constitution européenne"

Entretien avec Georges Debunne.

Cet entretien avec Georges Debunne, ancien président de la Confédération syndicale européenne (CES), a été réalisé le 15 mars 2005 par Herwig Lerouge pour l’hebdomadaire belge Solidaire.

Vous avez poussé un cri d’alarme en lançant un appel à s’opposer à la Constitution.(...)Qu’est-ce qui risque de s’aggraver ?

Georges Debunne. : Permettez-moi d’abord de dire que mon grand espoir est que cette Constitution ne soit pas approuvée. J’espère beaucoup de la France. Le Parti Socialiste y reste très divisé. L’immense majorité du « Parlement » du syndicat français CGT vient de se prononcer contre la Constitution malgré l’avis favorable de sa direction. Celle-ci suit malheureusement l’orientation pro-Constitution de la Confédération Européenne des Syndicats (CES). J’ai lancé, à la fin de l’année passée, mon appel contre la Constitution. Je l’ai envoyé à 500 personnes environ. Depuis, cet appel circule sur un tas de sites internet. Je reçois tous les jours au moins cinq, parfois vingt messages de militants syndicalistes français de tous les secteurs. Ils demandent le dossier que j’ai constitué pour le diffuser autour d’eux. On m’invite à venir parler. Malheureusement, mon état de santé m’empêche d’y aller.

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Georges Debunne

Cet appel a fait éclater le débat. On sent une demande de réflexion. Les syndicalistes veulent connaître le texte. La force de l’intelligence vaincra ceux qui veulent étouffer le débat ou le confiner dans les sphères politiciennes. Cela va devenir une force qui va réagir.

En Belgique, cela ne bouge pas trop encore. La FGTB de Liège et la CGSP semblent s’opposer. (...) Il faut absolument empêcher la ratification de cette Constitution. (...)

Ne pourrait-on pas changer cela après l’adoption de cette Constitution ? C’est ce que proposent les dirigeants du PS.

Georges Debunne. : Impossible. Pour prendre des mesures sociales, fiscales ou en matière d’environnement, la Constitution exige l’unanimité de tous les Etats-membres.

Puis, il y a les services publics qui sont en danger. Le démantèlement s’accélère. Le terme « services publics » est banni de la Constitution Européenne pour être remplacé par « Service d’intérêt économique général ». Ces services sont soumis à la concurrence.

Le projet de Directive « Bolkestein » montre comment, avec le « principe du pays d’origine », les pouvoirs publics perdront le contrôle du droit du travail sur leur propre territoire.

N’oubliez pas non plus que la Constitution Européenne est prévue pour une durée illimitée. Pour la réviser, il faudra l’unanimité. Un seul Etat pourra tout bloquer. Et elle prévaudra sur les Constitutions nationales.

Que faudrait-il à la place de la Constitution actuelle alors ?

Georges Debunne. : D’abord un système de solidarité collective qui barre la route au dumping social. Il faut imposer que les droits sociaux soient garantis au niveau européen. Il faut les imposer dans tous les Etats membres et interdire qu’on les fasse disparaître des constitutions et des législations nationales là où ils existent.

L’écart entre le salaire mensuel moyen allemand et hongrois est de 1 à 9, entre l’allemand et le bulgare, de 1 à 26 ! Face à la violente mise en concurrence des travailleurs dans une Europe élargie, il faut qu’une Constitution introduise le respect de quatre verrous de rémunération : un salaire minimum garanti, un minimum de retraite, un minimum d’allocations de chômage et un revenu minimum de protection sociale pour les personnes âgées qui n’ont pas travaillé. J’appelle cela « la méthode anti-concurrence Debunne ». Ces minima doivent être fixés en référence à un pourcentage commun à tous les Etats de leur Produit Intérieur Brut (PIB) par habitant, c’est à dire le revenu par tête d’habitant. En 2001, Eurostat a calculé le revenu moyen européen par habitant. Il faut évidemment tenir compte des disparités des productions de richesse nationale. Le revenu moyen d’un Grec était de 15.637 euros, mais celui d’un Luxembourgeois montait à 45.008 euros. Le Belge « moyen » gagnait 24.662 euros. En tant que président de la FERPA , j’avais estimé que le pourcentage à revendiquer pour un minimum de ressources obligatoire devrait être compris entre 40 et 50% du PIB par habitant. Les autres verrous devaient s’échelonner à la hausse à partir de ce plancher obligatoire. 40% en Belgique est évidemment plus que 40% au Portugal. Mais on ne connaîtrait plus des situations comme en Estonie. Là-bas, l’aide sociale se limite à 36 euros pendant trois mois, puis plus rien. Et ce mode de calcul permet aussi une égalisation vers le haut.

A la Ferpa [NDW : Fédération européenne des Reatraités et des personnes âgées], les Espagnols et les Hollandais ont approuvé cette revendication. En Suède, j’ai soulevé une salle de mille délégués, enthousiastes pour ces propositions. En mai 2000, la Ferpa a mobilisé près de 5000 pensionné(e)s de toute l’Europe. Ils ont remis à la Commission Européenne plus d’un million de signatures d’une pétition pour exiger la garantie des droits sociaux fondamentaux au niveau européen. C’est normal, ce sont eux qui ont obtenu les droits que l’on est en train de détricoter aujourd’hui.

Contre la concurrence entre les travailleurs, vous demandez aussi des conventions collectives européennes.

Georges Debunne. : Avant le Traité de Maastricht, c’était possible, mais je me suis heurté - en tant que Président de la CES - au blocage des gouvernements qui ont rendu la négociation au niveau européen impossible en ajoutant en fin de l’article 137 sur la politique sociale le point 5 qui dit : « les dispositions du présent article ne s’appliquent ni aux rémunérations, ni au droit d’association, ni au droit de grève ». Ce point 5 est devenu le point 6 de l’article III-210 sur la politique sociale dans le projet de Constitution européenne. Il faut faire biffer ce point ainsi que le droit de veto sur la protection sociale pour donner la possibilité aux syndicats européens de négocier des conventions collectives européennes.

Et évidemment, contre le principe d’unanimité, il faut l’extension du vote à la majorité qualifiée aux questions sociales et fiscales. J’en avais discuté avec Laurent Fabius en 1983. Il était alors Premier ministre de Mitterand. Lui aussi trouvait que c’était une absurdité. Et il n’y avait à ce moment que douze pays dans l’Union européenne. A 25 l’absurdité est encore plus manifeste. Mais cette règle n’est pas innocente évidemment. Un seul pays sur les 27 ou 30 que l’Union comptera bientôt pourra bloquer la volonté de 455 millions d’Européen(ne)s. Un Etat gouverné par l’extrême droite pourra bloquer la volonté des autres Etats plus démocratiques et progressistes.

Tout ce qui concerne l’économique et le monétaire a pu se faire rapidement et selon la volonté des forces de la finance par le vote à la majorité qualifiée dans les Conseils des Ministres. Que ce soit le marché unique, la monnaie unique, la Banque Centrale européenne les questions les plus importantes ont été résolues de cette façon. Comment peut-on justifier ces deux systèmes de vote, l’un favorable à tout ce qui est économique et monétaire d’inspiration libérale et l’autre défavorable à tout ce qui vise plus de justice sociale ?

Que pensez-vous du « oui de combat » du parti socialiste ? Oui à la Constitution, puis nous nous battrons pour la rendre plus juste...

Georges Debunne. : Les Traités successifs ont été ratifiés à chaque fois sur la base de promesses d’améliorations et par manque d’information des citoyen(ne)s européens. Mais depuis la fin des années 80, l’Europe n’est que réductions de dépenses pour le chômage, les pensions, les soins de santé et rejet de toute augmentation de recettes fiscales. Ce « oui de combat », je n’y crois pas du tout. Quel combat ont-ils mené ces dernières années ? Je suis d’accord avec Dehousse et les quelques uns au PS qui ont voté contre la Constitution lors du Congrès européen. J’aimerais aussi que les syndicalistes qui s’opposent à la Constitution parlent un peu plus clairement. La chute du mur de Berlin a ouvert la porte à la mondialisation et à la pensée unique qui aiguise l’attitude du patronat de moins en moins enclin à faire des concessions. L’organisation patronale, Unice, a imposé des vues d’un patronat pur et dur. La CES, dans un rapport de forces de moins en moins équilibré, a souscrit des accords et des compromis contestés qui permettent de ramasser quelques petites satisfactions. Mais celles-ci s’inscrivent dans un système libéral dominé par le capital. Il faut renverser la vapeur et dire clairement non.(...)