Libre Pensée du Pas-de-Calais

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Publié : 4 décembre 2008

La Naissance de l’école communale laïque, républicaine et gratuite à Calais (1878-1889)

En 1878, à Calais et Saint-Pierre, à l’image de la France, seules les congrégations catholiques enseignent dans l’école publique, primaire et maternelle : les frères des écoles chrétiennes scolarisent les garçons et les sœurs de Saint-Paul de Chartres les filles. [1] Mais, conquises par les républicains, notables issus des milieux économiques, les deux municipalités s’attachent alors au développement de l’école publique pour affermir la République naissante.

Dès août 1878, les républicains saint-pierrois étudient la construction d’une école laïque pour accueillir 200 garçons, 200 filles et 130 enfants en bas âge. Dans les écoles communales, il manque en effet au moins 700 places pour les élèves de 3 à 6 ans et plus de 1200 places dans le primaire pour faire face à l’expansion démographique. En septembre, les élus de Calais votent la laïcisation de l’école de garçons du Courgain : « les familles préféreraient confier leurs enfants aux écoles laïques » et le personnel religieux « est loin de présenter les garanties de savoir qu’offrent les instituteurs laïques. » [2] En conséquence, le maire François Mussel et ses deux adjoints, Omer Dewavrin et Charles Isaac, favorables aux congrégations, démissionnent, d’autant plus que Calais est une des premières villes de France et du département à laïciser une école communale. Les élections anticipées du printemps 1879 scellent le triomphe républicain. Pierre Darnel devient maire. Le succès de l’école laïque du Courgain, 170 à 197 élèves fréquentent ses quatre classes en septembre 1879, incitent les anticléricaux à proposer, en novembre, « la suppression des écoles congréganistes » à Calais. Protestant contre « les mauvais traitements » infligés aux enfants par les frères, ils exigent la liberté absolue de conscience pour les élèves : « l’instituteur à l’école, le prêtre à l’église » !

La pression anticléricale sur les congréganistes des écoles communales s’intensifie très fortement en 1880. Dès janvier, à Saint-Pierre, une pétition de 118 noms réclame de laïciser l’école de garçons rue de Dunkerque et l’école de filles rue de Saint-Omer. Le 6 février, suite à l’élection du franc-maçon Paul Gustave Van Grutten à la charge de maire, les républicains votent la construction d’un groupe scolaire laïque, notre école Franklin-Stephenson, et d’une école laïque au Petit-Courgain. Une semaine après, une pétition de 338 pères de famille de la Nouvelle-France obtient des élus de « transformer l’école congréganiste de la rue de Marck en école laïque » : dès avril, elle scolarise 207 élèves pour 2 maîtres ! Les élus calaisiens ne sont pas en reste puisqu’en mars ils laïcisent « à l’unanimité » la seconde école de garçons pour la rentrée d’octobre. Votée en principe, la laïcisation des écoles de filles de Calais n’est pourtant pas appliquée car le nombre d’institutrices laïques est insuffisant dans le département et certains élus sont reconnaissants envers les religieuses pour leur action. En avril 1880, les républicains créent à Saint-Pierre la Société du Sou des écoles laïques « pour encourager l’enseignement exclusivement laïque et le propager » afin d’inciter les familles nécessiteuses à confier leurs enfants aux écoles laïcisées. Amplifiant cet élan anticlérical, en août, la municipalité de Saint-Pierre laïcise les écoles communales de garçons restantes et décide de construire rue des Fleurs une nouvelle école de filles et une salle d’asile « dirigées par des laïques ». En septembre, elle acte la laïcisation immédiate des écoles de filles de la route de Boulogne et de la Nouvelle France, puis annonce celle des écoles de la rue Verte et du Petit-Courgain pour la rentrée 1881, anticipant localement les lois Ferry sur la gratuité et la laïcité de l’école publique couplées à l’obligation scolaire .

Cette mutation brutale provoque une réaction des milieux catholiques les plus cléricaux qui regroupent une partie de la bourgeoisie de Calais et quelques familles de gros industriels de Saint-Pierre. En août 1880, ils permettent aux frères des écoles chrétiennes d’ouvrir une école catholique privée à Calais, rue Eustache de Saint-Pierre, puis une autre rue du Vauxhall, à Saint-Pierre, face à l’école communale laïque. Cependant, ces écoles sont payantes et, confrontées à la gratuité de l’école publique, elles connaissent de graves difficultés financières dès 1882, au point que l’école du Vauxhall ferme définitivement ses portes en avril 1884 tandis que celle de Calais semble plus solide.

En août 1881, Van Grutten obtient la laïcisation des salles d’asile [3] communales et parachève ainsi l’oeuvre laïque des républicains. La première fête des écoles laïques, organisée place Crévecœur à la fin du mois, célèbre la victoire républicaine sur les congrégations religieuses et leurs alliés politiques. En réaction, en octobre 1881, avec l’aide des religieuses de Saint-Paul de Chartres qui ont quitté les écoles communales, onze militantes catholiques créent le Comité des classes catholiques et gratuites de Saint-Pierre pour soustraire les enfants « à l’influence d’une autre éducation peu favorable aux principes religieux ». Mais en décembre 1881 la population ouvrière de Saint-Pierre, dans une nouvelle pétition, réclame l’ouverture d’une nouvelle école laïque au Fort-Nieulay.

La lutte pour instruire la jeunesse saint-pierroise s’intensifie entre laïques et cléricaux au point qu’en avril 1882 la municipalité crée la Caisse des écoles laïques pour subvenir aux besoins des familles pauvres qui confient leurs enfants à l’école communale et afin de contrer la charité organisée par les militantes catholiques. En effet, leur comité rencontre un certain succès et parvient à créer 9 classes et une salle d’asile en 1883/1884, fréquentées par 458 élèves. Cependant, en 1885, lors de la réunion des deux villes, Van Grutten devient maire du Grand Calais en prônant la laïcisation des écoles de filles de Calais-nord, soulignant la puissance du sentiment anticlérical de la nouvelle ville et la volonté républicaine d’amplifier la scolarisation des jeunes filles.

En 1888, une majorité républicaine est reconduite à la tête de Calais et vote, en octobre, la laïcisation des deux dernières écoles communales de filles tenues par des congréganistes à Calais-nord. Immédiatement, la faction catholique la plus engagée répond en ouvrant, dans le même quartier, deux écoles privées tenues par les sœurs de Saint-Paul de Chartres, rue Berthois et rue des Prêtres. Cette nouvelle extension des écoles catholiques contraint le comité clérical à renoncer à la gratuité de ses écoles et, dès 1889, ces écoles confessionnelles sollicitent une participation financière des familles pour leur fonctionnement. Dans le même temps, le développement de l’école communale laïque se ralentit, même si, sous la pression conjointe des socialistes, menés par Émile Salembier et Alfred Delcluze, et des radicaux francs-maçons, une école de filles avec une classe enfantine, rue Jeanne d’Arc, et une école mixte au Pont du Leu sont créées en 1889. Le surgissement de ses deux nouvelles forces politiques sur la scène politique calaisienne annonce de nouveaux bouleversements scolaires, sociaux et politiques...

Pour la Libre Pensée de Calais
Roland Delattre

Notes

[1] Elles scolarisent 1042 enfants de 3 à 6 ans et 2224 en écoles primaires à Saint-Pierre, les chiffres pour Calais ne sont pas connus.

[2] Les citations de cet article sont tirées de documents conservés pour la plupart aux archives municipales de Calais, dans les séries D pour les délibérations municipales et R pour l’instruction publique. Voir Roland Delattre, L’Affirmation progressive d’une république laïque et sociale à Boulogne-sur-Mer et à Calais (1879-1914), Master 1 Histoire, ULCO, 2007.

[3] Ce terme désigne les écoles maternelles.