Libre Pensée du Pas-de-Calais

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Publié : 26 avril 2005

Le « non » d’Oskar Lafontaine

Article paru dans L’Humanité du mardi 26 avril 2005

le texte ci-dessous est un extrait de l’entretien que le leader de gauche allemand Oskar Lafontaine a accordé au journal L’Humanité.

L’Humanité :
Oskar Lafontaine, vous habitez la Sarre, à quelques encablures du territoire français. Comment vous détermineriez-vous si, transporté par hypothèse quelques kilomètres plus loin, vous aviez à vous déterminer par oui ou par non sur la constitution européenne ?

Oskar Lafontaine.
Ce serait pour moi une décision difficile à prendre parce que je suis un européen convaincu. Mais je pense depuis longtemps que l’Union européenne s’est engagé dans une mauvaise voie. Même si, entre-temps, une erreur d’orientation a pu être corrigée avec la réforme du pacte de stabilité, les règles de fonctionnement de la Banque centrale européenne (BCE) n’ont pas été touchées. Elles sont dévouées uniquement à la stabilité des prix ce qui constitue un défaut de fabrication fondamental. La BCE devrait aussi avoir l’obligation de soutenir la création d’emplois comme la banque centrale des États-Unis. Tant que ces règles de base de la BCE ne seront pas changées, la situation de l’économie européenne continuera de se dégrader par rapport à celle d’autres régions du monde. Enfin il y a l’orientation néolibérale de la Commission. Celle-ci apparaît maintenant très clairement à travers les mesures de libéralisation des services. En Allemagne des emplois de travailleurs qualifiés sont ainsi supprimés et remplacés par des jobs bon marché attribués à des salariés venus de l’est de l’Europe. Cela ne peut plus durer. C’est pourquoi il faut une révision fondamentale de la politique européenne.

Enfin, l’Europe des vingt-cinq est devenue trop grande à mes yeux. Depuis longtemps je m’implique en faveur d’une fédération franco-allemande, d’une construction à partir d’un noyau dur européen qui puisse fonctionner sur la base d’une autre politique économique et sociale. Pour toutes ces raisons je me prononcerais, si j’avais l’occasion de voter lors d’un référendum tel qu’aujourd’hui en France, pour le « non ».

L’Humanité
En d’autres termes, votre « non » serait donc un moyen de remettre sur les rails une construction européenne qui se fourvoie ?

Oskar Lafontaine.
Un « non » simple ne suffit pas. Je serais tout à fait hostile à un « non » qui signifierait : nous sommes « contre l’Europe ». Le « non » doit être adossé sur un concept alternatif. Je vous en ai énuméré les points les plus importants : une véritable réforme du pacte de stabilité, d’autres règles de fonctionnement de la BCE et une remise en questions des orientations néolibérales de la Commission. Il faudrait aussi aller au-devant des revendications en faveur d’un gouvernement économique de l’Union.

L’Humanité
D’aucuns avancent que la non-ratification de la constitution signifierait le chaos ?

Oskar Lafontaine.
Au contraire dans les conditions que j’évoquais à l’instant un « non » peut être le moyen d’imposer une pause, une respiration salutaire afin que la politique européenne puisse rebondir en prenant une tout autre direction.

L’Humanité
N’êtes-vous pas frustré de ne pas pouvoir participer à un tel débat dans votre pays où il n’y aura pas de référendum ?

Oskar Lafontaine.
En tant qu’Allemand je regrette effectivement que les décisions européennes, y compris celles que j’éprouve comme correctes, aient toujours été prises sans que le peuple ne soit consulté ou associé. C’est-à-dire de façon non démocratique. Cela ne peut plus durer ainsi. C’est pourquoi aussi je ne vois que des conséquences bénéfiques à ce que maintenant le peuple français s’exprime, c’est un processus qui ne peut qu’avoir des incidences démocratiques sur la manière d’envisager la construction européenne.