La laïcité a-t-elle un avenir en Europe ? La question est brutale, outrancière même diront certains, toujours prompts à dénoncer les « vieilles barbes laïcardes » ou « les ayatollahs de la laïcité ». Pourtant, à la lecture de la constitution européenne, il apparaît que ce principe pourrait bien faire les frais du « consensus » qui permis la rédaction du texte qui sera soumis à référendum dans quelques semaines.
Certes, la référence explicite à « l’héritage chrétien » a été rejetée in extremis mais les articles au coeur même de la constitution recèlent de graves menaces. D’abord parce que les organisations confessionnelles se voient reconnaître un statut particulier. L’article I-52 reconnaît leur « identité et contribution spécifique ». C’est-à-dire plus que ce qui est garanti aux partenaires sociaux. L’article I-52 précise également que « l’Union ne préjuge pas du statut dont bénéficient les Églises en droit national » qui permettra à certaines Églises de disposer d’un statut propre en fonction des États, y compris en violation de principes communautaires ou avec la « charte des droits fondamentaux », particulièrement en ce qui concerne les droits et les libertés conquises par les femmes. L’article II-70 qui proclame la « liberté de manifester sa religion individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites » heurte frontalement le principe de séparation des Églises et de l’État adopté en France il y tout juste cent ans.
« La loi de séparation, disait Jean Jaurès, c’est la marche délibérée de l’esprit vers la pleine lumière, la pleine science et l’entière raison. » La constitution européenne signe pourtant la victoire d’une conception anglo-américaine de la « liberté de religion » difficilement compatible avec l’article premier de la Constitution de 1958 qui précise que la France est « une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ». En passant d’une conception de liberté de conscience à celle de la liberté de religion à l’anglo-saxonne, la constitution européenne ouvre la porte au communautarisme. Une conception portée en France par Nicolas Sarkozy qui était favorable à l’inscription de l’héritage religieux dans le préambule de la constitution européenne, estimant qu’il « est certain que les valeurs chrétiennes ont été civilisatrices en Europe et leur influence dominante [...] ». Le patron de l’UMP plaide aussi pour une greffe sur le modèle français du modèle anglo-saxon d’organisation des communautés religieuses. Inspiration que l’on retrouve également dans sa proposition de « discrimination positive ». Le communautarisme comme tentative de dépassement de la lutte des classes pour y opposer des intérêts de communautés de personnes identifiées principalement en fonction de leur religion supposée, mais pourquoi pas aussi de couleurs de peau ou d’origine. Selon Jean Jaurès, « laïcité de l’enseignement, progrès social, ce sont deux formules indivisibles, nous n’oublierons ni l’une ni l’autre », et Ferdinand Buisson, président de la Commission parlementaire chargée d’élaborer la loi, ajoutait : « La séparation n’est pas le dernier mot de la révolution sociale, mais elle en constitue indéniablement le premier. » C’est peut-être pour cela que le principe de laïcité est si soigneusement écarté de la constitution Giscard.
Stéphane Sahuc, L’Humanité, 16 février 2005
2004-2024 © Libre Pensée du Pas-de-Calais - Tous droits réservés
Ce site est géré sous SPIP 1.9.2c [10268] et utilise le squelette EVA-Web 3.0 Bêta2
Dernière mise à jour : vendredi 5 décembre 2008